Des chercheurs de l’Institut de Duve de l’UCL ont découvert un système de défense qui permet aux bactéries de se protéger contre les attaques à l’eau de javel de notre système immunitaire. Une piste pour trouver de nouveaux antibiotiques ?
Pour se défendre contre les multiples agressions auxquelles il est quotidiennement confronté, notre corps dispose d’un ensemble de mécanismes de défense : le système immunitaire. Celui-ci mène une guerre sans merci contre les microorganismes (bactéries pathogènes, virus, etc.) qui cherchent à nous nuire. « Lorsque notre corps est attaqué par une bactérie, par exemple, la première réaction du système immunitaire est de lui envoyer des cellules, des soldats immunitaires », explique le Pr Jean-François Collet, chercheur à l’Institut de Duve et spécialiste des bactéries. « Ces petits soldats vont produire et bombarder la bactérie ennemie de substances oxydantes (1). Objectif : la détruire. »
Allumez le feu !
Il existe plusieurs types de soldats immunitaires, diversement armés. Les neutrophiles, par exemple, sont capables de produire de l’hypochlorite de sodium, plus connu sous le nom d’eau de javel. L’eau de javel est un puissant antibactérien, car il oxyde, abîme les différents composants de la cellule bactérienne, dont les membranes qui l’entourent. « Comme les briques d’un mur d’enceinte, la membrane bactérienne est composée de centaines de protéines », poursuit le Pr Collet. « Quasi toutes les protéines/briques contiennent du soufre, un atome qui s’oxyde très facilement. Quand les soldats-neutrophiles envoient l’eau de javel sur la bactérie, c’est comme s’ils dirigeaient un lance-flamme sur une allumette… Un petit incendie commence alors dans la protéine/brique et se propage. Si rien n’est fait, bientôt, de nombreuses protéines sont inactivées, une brèche peut se creuser dans le mur d’enceinte de la bactérie qui, du coup, ne fonctionne plus bien. Au final, une telle attaque peut finir par la tuer. »
Quand la bactérie se défend
De son côté, la bactérie ne se laisse pas forcément faire ! Elle dispose de plusieurs mécanismes de défense, acquis au cours de millions d’années d’évolution. Des mécanismes qui, par ailleurs, lui permettent parfois de résister aux antibiotiques (2). L’équipe du Pr Collet, en collaboration avec l’équipe du Pr Frédéric Barras de l’Université Aix-Marseille et du CNRS, a donc cherché à comprendre pourquoi et comment certaines bactéries parviennent à survivre aux attaques à l’eau de javel (3). « Pendant deux ans, toutes nos tentatives ont échoué, car les bactéries sont paresseuses : à moins d’y être obligées par une agression à l’eau de javel, elles n’ont pas recours au mécanisme qui nous intéressait et donc, nous ne le trouvions pas », raconte le Pr Collet. « Nous avons donc dû les forcer à dévoiler leurs cartes… »
Un nouveau système de défense révélé
Pour ce faire, les chercheurs ont d’abord modifié génétiquement des bactéries E. coli (4) en les dépouillant de leurs systèmes de défense anti-eau de javel connus. Ensuite, ils les ont mises dans des conditions extrêmes, semblables à un « incendie », mais sans eau de javel. L’expérience s’est avérée fatale à plusieurs bactéries… mais pas à toutes. Confrontées au choix « survivre ou mourir », certaines E. coli ont activé un système de défense particulier : MsrPQ. « Il s’agit de protéines produites par la bactérie, qui agissent à la fois comme des pompiers et comme des maçons. D’abord, elles éteignent l’incendie. Ensuite, elles réparent les dégâts que le “feu” a causés dans la protéine. » Ce qui permet à celle-ci de continuer à fonctionner normalement et au mur d’enceinte de « tenir ». Au final, la bactérie parvient à survivre à l’offensive.
Une avancée contre l’antibiorésistance
Cette découverte a fait l’objet d’une publication en décembre 2015 dans la prestigieuse revue scientifique Nature (5). Surtout, le système MsrPQ constitue peut-être une nouvelle cible pour de futurs nouveaux antibiotiques. « Des recherches et études antérieures ont démontré que les bactéries qui n’ont plus de système MsrPQ s’avèrent moins virulentes et plus vulnérables », explique le Pr Collet. « Notre objectif est donc de trouver une molécule capable d’empêcher le système MsrPQ de se mettre en branle. Un outil qui, par exemple, nous permettrait de verrouiller le garage ou la garnison des pompiers-maçons. Ce qui, de facto, aiderait les petits soldats de notre système immunitaire à vaincre les bactéries pathogènes. » Une première bataille de gagnée…
Candice Leblanc
(1) Un phénomène d’oxydation bien connu est la rouille, l’effet de l’oxygène sur le fer. (2) Voir article Antiobiorésistance (lien hypertexte ?) (3) En 2011, les chercheurs ont reçu une bourse du Conseil européen de la Recherche (ERC) pour mener à bien ce travail de recherche (4) L’Escherichia coli, dite E. coli, est une bactérie intestinale très commune chez l’être humain. (5) Gennaris et al., « Repairing oxidized proteins in the bacterial envelope using respiratory chain electrons » in Nature, décembre 2015. Les recherches du Pr Collet sur les bactéries sont ou ont été principalement financées par le FNRS, l’Institut WELBIO et une bourse de l’European Research Council (ERC).
CV express de Jean-François Collet